Pr Alain Sissoko, doyen de
l’Ufr de criminologie
«Toute
société produit des microbes sociaux»
Le
professeur Alain Sissoko, doyen de l’Ufr de criminologie explique le phénomène
du gang à la machette et donne des propositions.
Nous assistons à une nouvelle
forme de criminalité. Des jeunes gens qui attaquent les populations à la
machette. Comment expliquez-vous cela ?
Il faut raisonner en termes
d’hypothèses, pour le moment. Ce phénomène mérite une étude criminologique
notamment sociologique et psychologique. Ce que je peux vous dire c’est en
termes d’hypothèse. Je sais que s’il y a des gangs qui s’affrontent ces
gangs-là s’attaquent aux populations. Je pense que c’est un peu l’exigence des
problèmes économiques et des exigences culturelles. En général, toute société
intègre des individus en temps exclu d’autres. Ces jeunes sont exclus au plan
scolaire. Je pense que la plupart d’entre eux sont déscolarisés d’une part.
Donc, le problème de non scolarisation. Ce sont des jeunes de familles de 18 et
20 ans je doute qu’ils soient intégrés au plan professionnel. Evidement, on
dit, toute société produit des microbes sociaux. A juste titre, pareil-t-il,
eux-mêmes se font appeler des microbes. Je pense que c’est un phénomène qui
interroge qui interpelle la société au plan individuel et au plan collectif. Et
puis au plan phycologique, il faut faire des études pour savoir si ces jeunes
bénéficient d’un encadrement familial. Aujourd’hui, quand je regarde dans les
quartiers, il y a de l’extrême pauvreté. Ce n’est plus comme avant où les
parents s’occupaient des enfants. On disait que les enfants appartenaient à
toute la communauté. On remarque que dans les quartiers, déjà à 6 ans, on dit
il va « se chercher ». Mais des enfants de pauvres, les parents ne savent
même pas où leurs enfants se trouvent. Je pense qu’il y a des problèmes
d’ordres sociologies et aussi d’ordres psychologiques.
Les communes d’Adjamé,
d’Abobo et d’Attécoubé sont plus concernées par ce phénomène. Pourquoi ces
communes ?
Comme je l’ai dit en dehors
d’études on ne peut rien affirmer. On peut déjà pense que ce sont des communes
où règnent l’extrême pauvreté. Il y a une exclusion sociale. Ce sont des jeunes
qui n’ont pas de projets de vie. Il faut véritablement mener une étude et
attirer l’attention du public sur ce fait. Parce que quand on n’aborde pas dès
maintenant ces problèmes, on ne fait pas de prévention par rapport à
l’explosion du phénomène. On est dépassé par l’ampleur. Fondamentalement c’est
la pauvreté. Aujourd’hui, nous sommes dans une mondialisation économique qui
exclu vraiment les pauvres. Prenez par exemple les pauvres, les minorités aux
Etats-Unis. Des jeunes dès qu’il y a des coupures d’électricité, ils sortent et
ils manifestent. Ils rentrent dans les supermarchés. Personne ne peut les
réprimer véritablement. Ils envahissent les supermarchés. Ils volent tout. Ça
peut arriver ici.
A notre niveau, vous avez
fait des études sur le phénomène ?
Non. Le phénomène est
nouveau. Abidjan est un laboratoire sociologique et criminologique. Il y a des
phénomènes nouveaux qui apparaissent. En matière de sécurité, le défaut de
notre encadrement. Au plan politique et au plan de la sécurité on ne fait pas
de prévention. Les séminaires qui se passent, nous à l’Ufr de criminologie, on
ne reçoit aucune invitation. Nous demandons aux autorités. C’est un plaidoyer.
On l’impression qu’il y a deux mondes : le monde du travail et le monde
universitaire à part. On doit travailler pour nos dirigeants. On doit éclairer
nos dirigeants pour ces problèmes afin qu’ils prennent les décisions. Ça me
fait souvent mal.
Ce
phénomène du gang à la machette a-t-il un lien avec la drogue ?
Oui c’est possible.
Evidemment, ça c’est ce que j’appelle l’approche au plan individuel. Ces jeunes
se droguent. Ils sont très excités. Ils sont prêts à passer à l’acte. Il faut
ajouter aussi l’alcool qui gangrène notre jeunesse et le monde entier. Ces
jeunes, souvent quand ils se droguent, dès qu’ils sont dans un état second ils
passent à l’acte. La drogue peut amplifier le phénomène. Je pense que
fondamentalement c’est l’exclusion sociale. Il y a beaucoup de jeunes qui sont
exclus. Quand on voit souvent ces jeunes, c’est des jeunes mécaniciens, des
menuisiers ; des apprentis de "gbaka" qui travaillent dans le
secteur informel. On les considère comme des voyous. Quand on a une telle image
d’eux, ils veulent aussi se faire entendre. Dans toute société, chacun veut
avoir une place. Quelque soit ces personnes. Donc, chacun revendique une grande
partie de son identité. D’après vos écrits qu’il y a des filles dans ces
groupes alors qu’avant les filles restaient auprès de la mère ou des tantes
pour préparer. Ce n’est plus le cas. Il y a aussi le contrôle social. Les
leaders de familles, les leaders religieux arrivent à s’imposer à ces jeunes, à
les conduire et à les donner des conseils.
Pourquoi ce sont des jeunes
gens de 10 à 17 ans ?
Aujourd’hui, regardez votre
société. Les différentes crises qu’a connues la Côte d’Ivoire. Quelles sont les
valeurs? C’est l’argent, le sexe, la violence. La violence fait partie de notre
monde. De notre quotidien. Aujourd’hui, on abat quelqu’un et l’acte pareil
banal. Donc, ces valeurs jouent un rôle. Ces images qu’on a vues à la télé
pendant la crise postélectorale. On montrait des corps. Quand tu regardes tout
ça c’est grave. Voilà c’est tous ces modèles qui sont véhiculés qui peuvent
expliquer le comportement de cette jeunesse. Il faut une étude approfondie. C’est
pour cela que je parle en termes d’hypothèses. Ce sont des jeunes exclus qui ne
font que s’affirmer par la violence avec des armes à feu et des armes blanches.
Quelles
sont les solutions que vous préconisées?
Je pense que c’est complexe.
L’ampleur du phénomène est telle que ce sont des jeunes qu’il faut occuper. Il
faut qu’ils puissent avoir un travail. Il faut scolariser certains d’entre-eux.
Les engager dans un processus social. Il faudrait pourvoir les encadrer, les
donner un projet d’existence. Quand quelqu’un n’a pas un projet de vie, il doit
être comme quelqu’un qui est perdu dans le désert. Et l’image du désert, on est
seul. On ne sait pas où on va. A la vie, on va demander secours. Est-ce que ce
n’est pas un appel à la société. Est-ce que ce n’est un appel au secours. Il ne
faudrait pas voir cela négativement.
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