Reportage
Attécoubé : Attaques de domiciles, fumoirs à
ciel ouvert….
Peur
sur "Jean-Paul 2"
C’est
peu de dire que les habitants du quartier "Jean-Paul 2" de la commune
d’Attécoubé sont assiégés par les gangsters qui les dépouillent de leurs biens
de jour comme de nuit. Nord-Sud Quotidien est allé à la rencontre de ces
riverains angoissés et apeurés. Reportage.
Qui va sauver les
habitants de "Jean-Paul 2"? Ce quartier de la commune d’Attécoubé,
abandonné à son propre sort, est devenu
du pain bénit pour les délinquants de tout acabit. Les résidents se sentent
comme des laissés-pour-compte. Beugré Charles, employé dans une entreprise de
presse, va dormir ce soir encore la peur au ventre. Lui qui est encore traumatisé à la suite de l’attaque
à main armée dont sa famille et lui ont été victimes. Les faits se déroulent
dans la nuit du 30 juillet vers 21h15. Deux individus armés de pistolets
automatiques, portant des cagoules, font irruption chez les Beugré. Ils maîtrisent
toute la maisonnée après avoir bouclé à
double tour le portail. Les malfrats prennent le contrôle du domicile. Ils
menacent de tuer les occupants y compris le chef de famille s’ils refusent de
leur donner argent, bijoux et autres biens. La suite on la connaît. «Ils ont
pris la somme de 50.000Fcfa (un prêt que la mutuelle de sa société lui a
accordé pour payer ses médicaments, ndlr) et nos quatre téléphones portables. Ils n’ont
pas ouvert le feu mais nous avons été brutalisés. L’un des bandits m’a donné un
coup de crosse avec son arme à feu au niveau de la tête», explique Charles qui
se remet petit-à-petit de sa maladie qui le cloue au lit depuis août. Selon lui, il a porté plainte contre X au
commissariat de police du 28ème arrondissement après l’agression.
L’enquête est en cours et les malandrins
courent toujours. «Je suis encore convalescent. Cette nuit-là, j’ai reçu un
appel téléphonique d’une camarade venue de Gagnoa. Elle voulait venir me voir
pour me souhaiter prompt rétablissement. Elle ne connaissait pas chez moi. Je
suis sorti pour aller à sa rencontre. En sortant, j’ai rabattu le portail
laissant derrière moi ma nièce et ma petite-sœur», précise notre interlocuteur.
C’est l’erreur qu’il ne fallait pas commettre. Les deux malfrats, tapis
derrière une cabane jouxtant le domicile et faisant augure de fumoir de drogue,
surgissent de la pénombre. «Ils ont pris ma nièce et ma petite-sœur en otage.
Ils les ont conduites dans la chambre. Lorsque je suis revenu, j’ai constaté
que le portail était hermétiquement fermé. J’ai tapé. Un homme a ouvert le
portail. Il est apparu avec le visage encagoulé. Il m’a dit : "C’est
la police !" Etonné, je lui ai demandé de me montrer un document
attestant qu’il est effectivement un policier. A peine j’ai prononcé ces mots qu’il m’a donné
un coup de crosse avec son arme à la tête. Puis, il m’a traîné de force dans la
cour avant de refermer le portail. Ma nièce, ma petite-sœur et moi, ils nous
ont trimballés dans la chambre. Le bébé de ma sœur dormait au salon. Ils ont
menacé de tuer l’enfant si je refusais de leur donner tout ce que j’avais»,
nous confie M. Beugré, le cœur serré et le regard bouleversé. Les chenapans
opèrent tranquillement avant de disparaître dans la pénombre. Alerté, le
voisinage vient constater la scène du crime. Pendant qu’il nous raconte sa
mésaventure, chemin faisant un groupe de cinq jeunes gens sortent de la
broussaille. L’un d’entre eux porte des boucles d’oreille. Il arbore aussi des
lunettes antisolaires. Un autre porte des dreadlocks. Tous sont vêtus de
pantalons "jeans".
«Nous
sommes livrés à nous-mêmes. Aucune
présence de la police»
Le groupe se trouvant
en contrebas d’une colline se dirige vers nous. « Ce sont ces jeunes gens
qui nous attaquent ici. Vous voyez, ils viennent tout droit du fumoir (il nous
fait un geste de la tête pour nous indiquer l’endroit). Ce lieu est un espace
prévu pour construire une église mais les jeunes gens fument la drogue-là pour
venir nous agresser», dénonce Ahoutou Léon, un autre riverain qui nous a
rejoint. Lui aussi a été victime de vol de nuit en réunion à main armée. Dans
la nuit du 13 octobre à 20 h, trois malfaiteurs ont presque tout pris à son
domicile après avoir ligoté sa femme et lui. « Nous sommes abandonnés. Il n’y a
aucune patrouille de police ni de gendarmerie. Nous sommes livrés à nous-mêmes»,
déplore Léon. Les jeunes en question marquent un bref arrêt lorsqu’ils arrivent
à notre niveau. Nos regards se croisent. Nos ‘’adversaires’’ deviennent
frileux. La bande marche au pas de course pour s’éloigner. Nous continuons de faire
le tour du propriétaire en compagnie de nos contacts qui vivent l’enfer depuis
le mois de juin. Précisons que le quartier se trouve sur un terrain accidenté.
Des monticules par-ci et par-là. On se
faufile entre les maisons. Les eaux domestiques coulent à travers les ruelles. Par
endroits, il faut faire des bonds au risque de marcher dans une flaque d’eau. Les
quelques rares habitants que nous croisons dans la matinée de ce 19 novembre
sont avares en mots. Ils sont méfiants. Ils craignent d’être des cibles
potentielles des malfrats. «Ici, à partir de 18h c’est un couvre-feu. Chacun de
nous se barricade. Chacun prend son chapelet pour prier Dieu afin qu’il
l’épargne d’une attaque. Il y a deux semaines, des bandits armés de pistolets,
de couteaux et de gourdins, ont pris en otage toute une cour. Ils ont dépouillé
tout le monde. Avant de partir, ils ont enfermé les locataires. Nous avons été
alertés par les cris de détresse. Nous sommes venus et nous avons fracturé le
portail pour les libérer. C’est difficile. On vit dans la peur et dans
l’angoisse», se lamente Traoré Abou.
Comme les autres, ce jeune instituteur n’a pas été épargné par les gangsters. A
l’instar des autres résidents, il a porté plainte contre X au 28ème
arrondissement de police. Mais l’enquête piétine. Les agresseurs ont le champ
libre pour continuer leur entreprise criminelle. Nous laissons derrière nous
Charles et ses co-riverains. Sachant qu’ils dormiront avec un œil ouvert et la peur au ventre.
Ouattara
Moussa
Lég :
On prie le ciel à "Jean-Paul 2" pour enrayer un éventuel vol à main
armée.
Nb : Nous avons donné des noms d’emprunt
à nos interlocuteurs pour des raisons de sécurité.
Encadré :
Les explications de la police
Nous nous sommes
rendus mardi au commissariat de police du 28ème arrondissement.
Là-bas, le commissaire Hié Yéfini, a donné les explications de la non-présence
de ses hommes et lui dans ce bled. «Si vous regardez la configuration du
quartier (Jean-Paul 2, ndlr), il n’y a pas de voies praticables. Ce ne sont pas
des excuses mais c’est la réalité. Le quartier n’est pas accessible. C’est
pareil pour Mossikro, pour Abobodoumé…Notre zone de compétence s’étend sur un
rayon de 7 kilomètres. Les rues ne sont pas éclairées. Les routes, ça
n’existent pas », affirme-t-il. Le chef de service ne s’arrête pas là.
« Vous voyez notre véhicule de patrouille qui est un engin reformé de
l’Onuci est en panne depuis six mois. Nous n’avons pas de véhicule pour faire
la ronde. Ce véhicule a roulé durant trois mois. Depuis lors il est garé parce
qu’il n’a pas été réparé. Nous avons fait le rapport pour adresser à notre
hiérarchie. Nous attendons la suite », avance-t-il. Seule lui, la seule solution
pour l’heure, c’est d’organiser des patrouilles pédestres. «Cela suppose que
vous avez lancé une patrouille à partir du commissariat qui va marcher jusqu’au
quartier Banco 1 et 2. Elle va passer au carrefour Sable avant de rentrer au
quartier Millionnaire. Une autre patrouille pédestre qui va commencer à partir
du commissariat pour se diriger vers les quartiers de Santé 3, de Locodjro, de
Jérusalem, d’Abobodoumé. Elle va passer devant Hôtel Blanc pour ressortir vers
le 19ème arrondissement. Nous sommes en inférieur numérique au
niveau de l’effectif. Ces éléments-là peuvent faire combien de
tours ? », s’interroge l’homme en kaki en présence de son adjoint le
commissaire Lorougnon. «On ne peut se
focaliser seulement là-bas (Jean-Paul 2, ndlr). Si on le fait les bandits
savent donc ils vont changer de trajectoire. Ils viendront attaquer les autres
quartiers. Nous faisons appel aux Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire,
ndlr) qui n’ont pas la qualité d’Opj (officier de police judiciaires, ndlr) pour
nous assister. Les Frci basées au 37ème arrondissement de police
(n’est pas encore ouvert officiellement, ndlr)
viennent au quartier Jean-Paul 2 pour faire des patrouilles. Concernant
les fumoirs nous avons identifié 13 endroits sur toute notre zone de compétence
à la date du 19 novembre. A ce niveau nous faisons les rapports que nous
mettons à la disposition de la Dpsd (direction de la police des stupéfiants et
des drogues, ndlr). C’est elle qui doit venir démanteler les fumoirs. Nous
faisons seulement un travail de renseignement. C’est la Dpsd qui doit mener des
opérations pour démanteler. Chaque jour nous faisons des efforts pour traquer
les bandits», se convainc-t-il.
OM
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