Enquête
Maca / Libération des
détenus graciés
15 redoutables criminels libérés ?
La
grâce présidentielle accordée à trois mille détenus (incarcérés pour des délits
mineurs), en septembre, a visiblement aiguisé bien des appétits de
certains magistrats. Pour des espèces sonnantes et trébuchantes, le juge d’application des peines a libéré quinze redoutables criminels en
détention à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca).
Ne soyez pas étonnés de les rencontrer au détour
d’une ruelle de la capitale économique ou d’une ville de l’intérieur du pays.
De redoutables criminels libérés, d'anciens vendeurs de drogues et d’armes à
feu respirent, depuis octobre, l’air frais de la liberté. La grâce
présidentielle accordée par Alassane Ouattara en septembre aux trois mille
détenus de droit commun a été dévoyée. Selon des sources très introduites,
quinze dangereux malfrats auraient été illégalement remis en liberté moyennant
des espèces sonnantes et trébuchantes. Précision de taille : La mesure du président
de la République ne concerne que les auteurs de délits mineurs. A savoir les
faits de vol simple, d’abus de confiance, d’escroquerie, de faux et usage de
faux en écriture administrative, de coups et blessures volontaires, de
violence et voie de faits. L’objectif de cette décision, selon le communiqué du conseil des ministres extraordinaire du
vendredi 20 septembre, vise à désengorger les prisons. Selon nos informateurs, les
dispositions arrêtées par le décret ont été violées. Parmi les bénéficiaires illégaux, l’on cite le
nom de Dembélé Soumaïla. Né le 25 décembre 1974, il a été placé sous mandat de
dépôt le 17 août 2012. Il a été jugé et condamné le 27 août dernier à dix ans de prison ferme par le tribunal des
flagrants délits d’Abidjan-Plateau, qui l’a déclaré coupable des faits de
détention illégale d’armes à feu et de munitions de guerre de première et
sixième catégorie. Incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan
(Maca) sous le numéro 001/0101/1/3848/2012, Soumaïla a séjourné seulement quatorze mois au
pénitencier de Yopougon. Le pensionnaire du bâtiment C a recouvré la liberté le
22 novembre comme mentionné, précisent nos sources. «J’ai
profité de la grâce présidentielle. Il y avait
un réseau et j’ai sauté sur l’occasion. J’ai réuni la somme de 150.000 Fcfa, et
je suis sorti de la prison», aurait-il confié par téléphone à un de ses proches.
Naturellement, Soumaïla s’est planqué depuis sa libération. Tout comme d’autres
redoutables criminels ayant profité de cette voie illégale. Hien Nan Elvis, 35
ans ; Camara Moustapha, 30 ans et Sékongo Nibouténin Adama, 29 ans ont pris
individuellement vingt ans de prison ferme pour vol de nuit en réunion à main
armée. Condamnés le 8 mars 2013, neuf mois après, la bande à Elvis sort de la
Maca.
D’après nos sources, les trois chenapans ont
payé la somme de 300.000 Fcfa pour jouir de cette liberté. Certains détenus
condamnés pour des délits majeurs sont également bénéficiaires du fameux
"réseau". Ecroué à la prison civile d’Abidjan pour les faits de
détention illégale d’arme à feu et détention de cannabis en vue de la vente
sous le numéro 001/0101/1/1711/2013, Traoré Abdoulaye n’aurait pas purgé sa
peine de 10 ans. Bakayoko Ibrahim (N° 0001/0101/1/3198/2012), Bioh Mathurin (n0
001/0101/1/1397/2013) ; Dali Zégli Jean Claude (n°001/0101/1/1394/2013) et Sana
Ismaël (n°001/0101/1/3199/2012) ont mis la main à la poche. D’après nos contacts
à la Maca, ces trois gangsters ont payé individuellement 100.000 Fcfa.
Condamnés à cinq ans de prison ferme pour vol et détention illicite d’arme de
guerre, Mathurin ; Jean-Claude et Ismaël ont aussi recouvré la liberté avant
l’heure. Comme eux, sept autres dangereux (voir la liste) brigands ont utilisé
le même "réseau".
Le juge Alla Kouamé fuit son bureau
Le dimanche 1er décembre, nous nous
sommes rendus à la Maca pour interroger
le régisseur. Mais nous n’avons pas pu voir Koné Kléban qui était retenu à
l’intérieur de la prison par une fête de la communauté catholique du pénitencier.
En absence, c’est le chef de compagnie, le
lieutenant Gué Tianin qui nous a reçus en présence du secrétaire à la
communication du Syndicat national des gardes pénitenciers de Côte d’Ivoire.
Après avoir pris connaissance de la liste que nous détenons, Gué Tianin opte
pour une vérification dans les fichiers. Mais cela n’était pas possible ce
dimanche en l’absence des membres du service informatique. L’interlocuteur nous
propose de revenir le lendemain, en instant sur l’autorisation que nous devions
demander au régisseur. Le lundi 2 décembre, nous téléphonons à Koné Kléban en
vue de nous rendre à la Maca. Au bout du fil, le patron de la prison civile de
Yopougon affirme qu’il n’est pas nécessaire que nous venions jusqu’à lui parce
que, a-t-il dit, ce n’est pas au niveau de la maison pénitentiaire que sont
prises les décisions de libération des
détenus. « C’est le juge d’application des peines qui décide. Nous ne
faisons qu’exécuter. Interrogez donc le juge d’application », a répondu M.
Koné.
Le mercredi 4 décembre, nous nous sommes rendus au
tribunal d’Abidjan-Plateau pour y rencontrer le juge en question. Il se nomme
Alla Kouamé. Il est le juge
d’application des peines de cette juridiction à laquelle est rattachée la
prison civile d’Abidjan. Nous sommes à la présidence du siège au 1er
étage. Au second étage, se trouve le parquet. Après quinze minutes passées dans
la salle d’attente, le sergent-chef de police en faction nous annonce à travers
le téléphone fixe. Quelques minutes plus tard, le juge nous fait appel.
On emprunte le couloir puis à notre gauche nous retrouvons le bureau du juge.
C’est la porte numéro 6. A la suite des civilités, on lui indique l’objet de
notre présence. «Je suis surpris. Donnez-moi les noms de ceux qui vous
ont donné ces informations. Je veux aussi voir le document en question»,
insiste notre interlocuteur. Nous évoquons le code de déontologie du
journaliste en son article 13 qui stipule : "Ne jamais
révéler les circonstances dans lesquelles le journaliste a connu le fait qu’il
rapporte, et ce, pour la protection de la source de l’information qu’il a pu
recueillir. A l’exception notable des sources que l’anonymat permet de
sécuriser, ne jamais publier d’information dont le fournisseur réclame ou exige
l’anonymat ou n’est ni identifié ni identifiable" Le juge insiste pour que nous lui divulguions l’identité de
nos informateurs. Nous lui répétons invariablement que cela est impossible. «Je
suis surpris. Dans ce cas, je réserve ma réaction pour demain (jeudi 5
décembre, ndlr). Appelez-moi entre midi et 14 heures», lance-t-il. Rendez-vous
est donc pris pour le jeudi 5 décembre. Ce jour-là, à 12 heures 15 minutes nous
rencontrons en contact téléphonique avec le juge Alla pour lui signifier que
nous sommes dans la salle d’attente. Il nous répond : «Je suis encore à la Maca
(Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, ndlr). Je vais finir dans deux
heures.» On patiente jusqu’à 14heures 30 minutes. Point de juge. Alors nous
rentrons à nouveau en contact téléphonique avec le magistrat. Il affirme qu’il
est en route pour le palais de justice. C’est à 15 heures 15 minutes soit après
trois heures d’attente qu’il nous reçoit pour la seconde fois dans son bureau. Cette
fois-ci il n’est pas seul. Il a fait appel au doyen des juges d’instruction
militaire, le commandant Koffi Roger. L’entretien tourne à une audition en
présence d’un substitut du procureur de la république. «On vous écoute
maintenant. Mais auparavant débarrassez vous de votre téléphone portable»,
déclare le juge Alla. Face à notre refus, le juge menace de confisquer notre
téléphone. Le ton monte d’un cran. Il insiste en vain. La tentative
d’intimidation est tuée dans l’œuf. Le juge Alla se dégonfle sous les regards
médusés des deux magistrats. Il se contente d’affirmer que l’information
est très grave. «Je ne veux pas donner ma réaction aujourd’hui (jeudi, ndlr).
Je vais réagir en présence de mon chef
hiérarchique qui est le président du tribunal (Coulibaly Hamed Souleymane,
ndlr). Donc, revenez me voir lundi (9 décembre, ndlr) à 11 heures.». Au
passage, notre interlocuteur nous demande de lui
donner le contact téléphone du directeur de
publication, Diomandé Choilio. Pour quoi faire ? Une fois
encore nous opposons une fin de non-recevoir à la requête. Le 9 décembre, nous
nous rendons au tribunal d’Abidjan-Plateau pour rencontrer le juge
d’application des peines. Tout au long du trajet, nous avons tenté en vain de
le joindre par téléphone afin de lui annoncer notre arrivée. Sur place, l’agent
de police nous a indiqué que le magistrat n’est pas à son bureau. «Je ne sais
pas où il se trouve. Son bureau est fermé à
double clefs », affirme le sergent-chef. Après trente minutes d’attente nous
quittons le lieu en prenant soin de dire au policier de signifier au juge notre
passage. En plus, nous lui avons envoyé via notre téléphone portable un message
pour lui notifier l’objet de notre présence. Nous adresserons un courrier au
juge Alla pour solliciter une interview en vue de recueillir sa version des
faits. La correspondance est réceptionnée le 16 décembre à 12 heures 3 minutes.
Nous avons été reçus par Mme Kalou, l’une des secrétaires du président du
tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau. Après lui avoir remis la copie
originale du courrier, celle-ci fait une décharge sur la photocopie attestant
ainsi que la lettre a été bel et bien reçue en main propre. Depuis cette date,
nous n’avons pas obtenu de réponse.
Ouattara
Moussa
Des
magouilles sont dénoncées autour de la libération des prisonniers graciés.
Encadré:
L’administration
pénitentiaire s’en lave les mains
Pour l’exécution du décret relatif à la grâce
présidentielle tel qu’il a été monté, la libération de détenu par ce canal ne
peut pas être faite par erreur, soutient Ouata Babacar. Interrogé le 11
décembre à son bureau à la Tour D 14ème étage au Plateau, le
directeur de l’administration pénitentiaire nuance sa réponse. « Mais il
peut arriver que, profitant de cette situation, des fonctionnaires de
l’administration pénitentiaire, des régisseurs ou alors des collaborateurs des
régisseurs mettent en liberté des individus qui ne bénéficient pas de la grâce.
Si ces prisonniers sont libérés de façon anormale, ils sont en situation
d’évasion parce qu’ils ne sont pas sortis par la voix régulière. Dans ce cas,
des recherches seront effectuées. La responsabilité incombe au régisseur et par
la suite à tout ceux qui ont participé à cette forme de libération. Toutefois,
il faut que cela soit dénoncé. Il faut cela soit porter à la connaissance de
l’autorité pénitentiaire pour que des enquêtes soient faites et que des sanctions
puissent être prises », a-t-il promis en précisant que les libérations de
détenus ont été faites sur instruction du procureur de la république et du juge
d’application des peines. « Si des personnes ont été mises en liberté
alors qu’elles ne devaient pas bénéficier de la grâce présidentielle, alors
nous allons ouvrir une enquête pour voir clair dans cette affaire. Des
sanctions vont tomber si la responsabilité de ceux qui ont en charge la gestion
quotidienne de la Maca est établie. Soyez sûrs que nous serons intransigeants
sur la question», insiste-t-il. Le
patron des trente trois prisons que compte
la Côte d’Ivoire souligne qu’en matière d’infractions sur les stupéfiants,
les détenus qui peuvent bénéficier de la grâce présidentielle ne sont pas ceux condamnés pour consommation de drogues et de
stupéfiants. « Concernant les armes à feu, il faut faire la différence
entre les armes de guerre et les armes de calibre 5 qu’on appelle communément
"fusil de chasse". Pour les armes de calibre 12, elles ne sont pas
inclues dans les infractions devant être exclus des bénéfices de la grâce
présidentielle. Donc, ces personnes qui ont été poursuivies et condamnées pour
détention de types d’armes peuvent faire l’objet de libération. Cependant,
concernant ceux qui détenaient des armes de guerre, ils sont exclus du décret
de libération parce qu’en général ce genre d’infraction s’associe à ceux
d’atteinte à la sûreté de l’Etat», clarifie le directeur de l’administration
pénitentiaire.
OM