mardi 11 février 2014

Enquête : Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan

Enquête :
Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan

Nouvelles révélations sur la libération illégale des bandits de grand chemin

On croyait  la corruption et le clientélisme en train de disparaître de la justice ivoirienne.  Que non ! Ces fléaux continuent de gangréner dangereusement notre appareil judiciaire.  

Incroyable mais vrai !  Cela fait plus de deux mois (le 22 novembre 2013) que Nord-Sud Quotidien annonçait la libération illégale de quinze dangereux criminels dans le cadre de la grâce présidentielle. Depuis lors, aucune autorité ne s’est prononcée publiquement sur ce fait gravissime. Et nous ne sommes informés de la moindre enquête administrative ouverte pour faire la lumière sur cette affaire dans laquelle un juge d’application des peines a été formellement indexé par nos sources.  Ce  silence est assez inquiétant et évocateur des magouilles et de la corruption qui, selon plusieurs faits et témoignages, continuent de gangrener la justice ivoirienne.

Comment les agresseurs du Dg de l’Ens ont failli être libérés

Dans un autre article publié le 31 mai 2013 et intitulé : ‘’Assassinat manqué du Dg de l’ENS-Le parquet veut libérer les gangsters’’, nous révélions des manœuvres en vue de la relaxe, le même jour, des six membres du commando qui a ouvert le feu, le 14 mars de la même année, sur le professeur Sidibé Valy, directeur général de l’Ecole normale supérieure (Ens). Il s’agit de T. Zana alias Agrin, 27 ans ; de K. K. Christian Armel, 29 ans ; de D. Salif, 30 ans ; de L. Moctar, 24 ans ; de S. Soumaïla et de B. Yaya, 29 ans, leur complice  Lossény dit Jumeau étant  toujours en cavale depuis cette époque.  C’est ce même gang qui avait tenté de tuer un officier de la police criminelle. Ces tueurs à gage avaient été arrêtés le 5 mai 2013  par les hommes du commissaire Niagne Honoré, directeur de la police criminelle. Ils étaient poursuivis pour vol en réunion à main armée de pistolets, de complicité de vol à main armée et de détention illégale d’armes à feu. Selon nos sources au parquet, les procès-verbaux transmis lors de leur déferrement, le 17 mai, n’étaient pas accompagnés du corps du délit, à savoir cinq pistolets automatiques, deux téléphones cellulaires et un ordinateur portable(pièces à conviction dont nous avons publié les photos), alors que les dossiers comportaient des prises de vue des armes saisies et des objets volés lors de l’arrestation de ces bandits de grand chemin.
Aux dires de nos sources bien introduites, le lendemain de la publication de notre article, pour toute réaction, le procureur est allé interroger le directeur de la police criminelle sur le lien que celui-ci pourrait avoir avec notre enquête. Evidemment, son interlocuteur a répondu qu’il n’en savait rien. Le chef du parquet aurait aussi approché une autorité en charge de la presse au fin d’interpeller les responsables de Nord-Sud Quotidien. Finalement, au procès, les pièces à conviction que l’on voulait occulter ont été versées au dossier et les criminels condamnés. Ils ont écopé chacun de vingt ans de réclusion criminelle.   Autre méfait, même stratégie.
Le lendemain, toujours selon nos sources au parquet, les parents de prisonniers qui avaient cotisé des sommes importantes qu’ils assurent avoir remises à des magistrats sont allés protester au palais de justice. Nous ne savons pas si l’argent leur a été restitué ou non. Des policiers interrogés à la direction de la police criminelle étaient  très en colère contre le parquet. Ils nous ont confié qu’ils sont régulièrement frustrés par l’attitude de certains magistrats. Ils ont révélé à titre d’exemple que certains parmi les dix-sept bandits déférés le 13 mai pour des délits de vol de nuit à main armée, association de malfaiteurs, détention illégale d’armes à feu et recel d’objets volés, avaient été déjà libérés. En l’occurrence, K. Mohamed qui est sorti de prison après avoir séjourné seulement une semaine au pénitencier de Yopougon. «Les exemples sont légion. Le 15 avril dernier, nous avons déféré le sieur T. Souleymane au parquet d’Abidjan-Plateau. Il était poursuivi pour les faits de vol aggravé. A notre grand étonnement, il a été libéré une semaine plus tard par le parquet sous le numéro du billet d’Ecrou 2224 du 24-04-2013 de la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan », dénonce un policier qui a suivi ce dossier. Ce dernier révèle même que la sortie de prison du bandit a créé un mouvement de colère chez les autres détenus qui le considèrent comme un récidiviste notoire « Face au soulèvement des détenus de la Maca, le procureur a été obligé de nous donner l’ordre de le rattraper. Ce qui a été fait. Il a été ramené à la Maca pour d’autres chefs d’accusation », ajoute-t-il, très remonté contre le ministère public. Des cas similaires ont été enregistrés les années antérieures. On se souvient de l’assassinat, en 2009, du substitut du procureur, Sioblo Tia Serge, tué à Yopougon-Niangon. Le mercredi 7 mai 2009, aux environs de 21 heures, la cité Caféier, située non loin de la station Lubafrique de Yopougon-Niangon, a été le théâtre d’une tragédie. Le corps sans vie et criblé de balles du magistrat a été retrouvé dans le parking. Selon la police criminelle, la victime a été abattue par quatre braqueurs membres du gang dénommé les ‘’Cabris verts’’. Ils sont arrivés à bord d’une fourgonnette blanche. Règlement de compte ou simple agression? Des enquêtes menées, il ressort que c’est ce magistrat qui avait pris la décision de mettre en liberté ces criminels. Ironie du sort. Ce sont ces mêmes voyous qui l’ont abattu. Le substitut du procureur a donc payé cash son erreur ( ?). Toute la journée du jeudi 30 mai 2013, nous avons tenté de joindre le procureur Adou Richard pour recueillir sa réaction. Faute de réponse, nous avons envoyé un message au patron du parquet d’Abidjan-Plateau. Sans suite.
Révélations sur l’évasion suspecte du 11 décembre
Plus récemment, c’est-à-dire le 11 décembre 2013, vingt détenus dont quinze criminels incarcérés au bâtiment C du pénitencier de Yopougon (ex-miliciens et anciens supplétifs des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) se sont fait la belle. Ce jour-là, vers 18 heures, ils se sont évadés du violon du parquet d’Abidjan-Plateau. Une semaine après, nous avons investigué auprès de sources proches des bureaux du parquet d’Abidjan, de l’administration pénitentiaire et aux cabinets des juges d’instruction du tribunal d’Abidjan-Plateau.  Elles nous ont indiqué que l’évasion a été un acte prémédité et motivé par des dessous de table. D’après nos informateurs, l’argument de vétusté de menottes ne tient pas. « Les menottes utilisées par les policiers sont de bonne qualité. Ce sont des menottes de type français. Le problème se trouve ailleurs », analyse l’un de nos interlocuteurs. En observant de près cette évasion et le mode opératoire, explique-t-il, on peut dire que c’est quelque chose qui a été préparée. «Les détenus  sont tous extraits du bâtiment C. Ce sont de grands criminels. Certains n’avaient pas été entendus. Donc, ils ont été conduits dans les cellules du violon du parquet.  Ce mercredi 11 décembre, il n’y avait pas assez de policiers. Les prisonniers ont tout simplement enlevé le crochet. Puis ils ont brutalisé les agents qui étaient présents. Ils ont sauté la clôture pour prendre la fuite », conclut notre source. Un autre contact au 4ème cabinet du juge d’instruction nous apprend que ces taulards, encore en cavale, sont en majorité des ex-miliciens et d’anciens éléments des Frci. « Donc, ce sont des gens qui savaient ce qu’ils faisaient. Les policiers ont été distraits par les derniers détenus qui sortaient de la grande salle d’audience. Alors que les agents avaient les yeux rivés sur les derniers prisonniers, les fuyards ont profité de l’inattention pour mettre à exécution leur plan d’évasion », assure-t-il. « Vous savez, le bâtiment C de la Maca regroupe les bandits de grand chemin. Et les gens sont très solidaires. La sécurité du palais de justice est assurée par les gendarmes. Mais ceux-ci n’étaient plus là, car il était 18 heures. Donc, la porte était ouverte pour eux afin qu’ils prennent la fuite», nous renseigne sous couvert de l’anonymat l’officier subalterne, membre de l’un des syndicats des agents pénitentiaires. Selon ce syndiqué, cette évasion spectaculaire a été motivée par des raisons pécuniaires. Notre interlocuteur soutient mordicus qu’il existe des complices au sein du violon et du parquet. Il ne comprend pas pourquoi ces détenus n’ont pas été rattrapés dans la mesure où leurs empreintes  digitales ont été prises et qu’ils figurent dans le fichier du tribunal. Début janvier, nous nous sommes rendus au tribunal d’Abidjan pour obtenir des informations sur  la suite de l’enquête ouverte. En lieu et place de réponses à nos questions, le chef de sécurité du violon, le lt. Koffi Emmanuel a menacé de nous faire passer les menottes. «Je n’ai rien à vous dire. Si vous continuez, je vous mets derrière les barreaux», lance l’officier de police sur un ton péremptoire.
Retour à l’affaire de la grâce présidentielle
Le 22 novembre dernier, quinze bandits de grand chemin sont illégalement sortis de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Et ce, dans le cadre de la grâce présidentielle accordée deux mois auparavant à trois mille détenus. D’après la mesure présidentielle, seulement les auteurs de délits mineurs (vol simple, abus de confiance, escroquerie et coups et blessures volontaires) étaient concernés. Mais le décret a vraisemblablement été dévoyé. Selon nos sources, quinze redoutables criminels et trafiquants de drogues auraient bénéficié de la complicité des magistrats qui ont traité le dossier. En contrepartie, ces juges auraient reçu de grosses sommes d’argent. Parmi les bénéficiaires illégaux, l’on cite le nom de Dembélé S. Né le 25 décembre 1974, il a été placé sous mandat de dépôt le 17 août 2012. Il a été jugé et condamné le 27 août dernier à  dix ans de prison ferme par le tribunal des flagrants délits d’Abidjan-Plateau. Le juge l’a déclaré coupable des faits de détention illégale d’armes à feu et de munitions de guerre de première et sixième catégories. Incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) sous le numéro 001/0101/1/3848/2012, le sieur Dembélé  a séjourné seulement quatorze mois au pénitencier de Yopougon. Le pensionnaire du bâtiment C a recouvré la liberté le 22 novembre comme mentionné, précisent nos sources.   «J’ai profité de la grâce présidentielle. Il y avait un réseau et j’ai sauté sur l’occasion. J’ai réuni la somme de 150.000 F Cfa, et je suis sorti de la prison», a-t-il confié à un de ses proches qui a accepté de témoigner. Naturellement, l’ex-supplétif des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) s’est planqué depuis sa libération. Tout comme d’autres redoutables criminels ayant profité de cette voie illégale. Hien N.E, 35 ans ; Camara M.,  30 ans et Sékongo N.A, 29 ans ont pris individuellement vingt ans de prison  ferme pour vol de nuit en réunion à main armée. Condamnée le 8 mars 2013, neuf mois après, la bande à Elvis sort de la Maca. D’après nos sources, les trois dangereux individus se sont acquittés de la somme de 300.000 F Cfa pour jouir de cette liberté.  Certains détenus condamnés pour des délits majeurs sont également bénéficiaires du fameux "réseau". Ecroué à la prison civile d’Abidjan pour les faits de détention illégale d’arme à feu et détention de cannabis en vue de la vente sous le numéro 001/0101/1/1711/2013, Traoré A. n’aurait pas purgé sa peine de dix ans. Bakayoko I.  (N° 0001/0101/1/3198/2012), Bioh M. (n0 001/0101/1/1397/2013) ; Dali Zégli JC (n°001/0101/1/1394/2013) et Sana I. (n°001/0101/1/3199/2012) ont mis la main à la poche pour jouir de la liberté. De l’avis de nos contacts à la Maca, ces trois gangsters ont payé individuellement 100.000 Fcfa. Comme eux, sept autres dangereux brigands ont utilisé le même "réseau".  Rien n’a été fait pour rattraper ces ex-pensionnaires du bâtiment C de la Maca. Pis, les magistrats cités dans ces affaires ne sont pas inquiétés. Il ne faut donc pas être surpris de la recrudescence du grand banditisme en Côte d’Ivoire.
Ouattara Moussa
Légende 1: La libération de grands criminels dans le cadre de la grâce présidentielle reste sans suite.
Légende 2 : Malgré les efforts du chef de l’Etat, la corruption continue de gangréner la justice ivoirienne.

Ouattara Moussa  

Enquête :
Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan





Légende : Le chef de l’Etat a déjà sanctionné pour corruption.      





Encadré :
Criminels libérés lors de la grâce présidentielle
Le dossier sur la table de Ouattara
A la suite de la publication, le 23 décembre dernier, de l’enquête sur la corruption autour la grâce présidentielle, nous avons été reçus le mardi 24 décembre au palais présidentiel par Me Diané Mamadou. Le conseiller spécial chargé des affaires juridiques du président nous a indiqué ce jour-là que ces libérations illégales et ces évasions sur fond de corruption sont des faits suffisamment graves car les conséquences sont à la fois sécuritaires et économiques. Il s’est inquiété d’une éventuelle hausse de l’indice de sécurité et de la fuite des investisseurs étrangers. Il a promis informer "qui de droit" afin que les responsabilités soient situées en vue de prendre "les mesures qui s’imposent". Selon le juriste, bien qu’il existe la séparation de pouvoir, l’ouverture d’une enquête approfondie va permettre d’identifier les coupables en vue de les sanctionner. Au passage, le conseiller a félicité votre journal pour ce travail d’investigation. Quelques semaines après cet entretien, c'est-à-dire le 17 janvier, nous sommes entrés en contact téléphonique avec Me Diané pour savoir si des mesures ont été prises pour élucider ces affaires qui discréditent davantage la justice ivoirienne. D’après notre interlocuteur, le dossier se trouve sur la table du président de la République. Alassane Ouattara, on s’en souvient, a déjà sanctionné huit magistrats en octobre 2012 pour « abus de pouvoir, abandon de poste, corruption et extorsion de fonds. »


OM 






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